Mes yeux se sont englués sur la protubérance de son ventre, ce mont qui donne à son corps noueux de nouvelles courbes incroyables, impressionnantes. Cette Chose je l'aime déjà, et j'en ai peur aussi. C'est comme un secret bien gardé dans un coffre fort. Un secret terrible. Le secret de la vie, la vraie. Peut-être que c'est cette Chose la solution finale. La solution parfaite.
Je ne sais pas si la sauvageonne a compris que mon regard ne se pose plus vraiment sur elle, ce regard traverse sa peau et essaye de révéler l'essentiel. Elle me fixe de ce regard doux qui me rend fou, qui me donne envie d'ouvrir ce corps, de prendre le trésor et de fuir avec, loin de ce feu-foyer qui était plus beau en feu-brasier.
Je m'abîme un peu plus dans la contemplation de ce ventre rond, des images plein la tête, sur le perron de notre petite maison de bois. Mon esprit en est violemment délogé quand une silhouette familière dépasse à pleine vitesse notre maisonnée. « Oh mais c'est Thimon. Ca fait longtemps qu'il ne s'est pas arrêté pour nous dire bonjour, le petit cœur. »
Je m'étouffe avec ma propre salive, alors que je n'ose même pas la regarder. Cette Chose l'attendrit trop, ça lui fait du mal. J'ai envie de lui dire tout ce qui se passe derrière son dos, juste pour revoir une dernière fois le feu. Mais Thimon a raison, la Chose ne mérite pas ça.
Alors pour éviter de commettre l'irréparable, je me lève et je dévale à sa suite les rues. Il est loin, trop loin. J'ai peur de le perdre à chaque tournant. Je suis essoufflé et j'ai de plus en plus peur aussi. Il va loin, trop loin.
Mais là il s'arrête. Je m'arrête plus loin, deux secondes pour reprendre mon souffle. On voit la ville d'ici. Je m'approche de lui doucement, comme pour apprivoiser un animal effrayé qu'on doit approcher pour le secourir. Il pleure. Et ses perles salées déclenchent un raz de marrée dans mon cœur. Je le prends dans mes bras, je l'emprisonne contre mon torse. J'inspire fort l'odeur de ses cheveux.
« Mon tout, mon Thoum, tu ne veux pas partir, dis ? Dis que tu ne veux pas partir. Pourquoi tu vas si loin et si vite, Thoum ? »

Les questions pleuvent sur moi. Il vomie des mots à n'en plus finir, et tout ce dégoût se déverse sur moi comme une vague implacable. Et moi je subis, les yeux écarquillés, comme si j'étais étonné qu'il contienne tout ça dans son petit corps, mais surtout qu'il éclate ainsi, aussi ouvertement, sans se retenir. Je le regarde, et j'essaye de regarder à travers ses yeux, mais je n'y parviens pas. J'ai pas encore trouvé la clé qui mène à ses pensées directement, j'ai besoin de les entendre de sa bouche pour le comprendre. Et ça me tue de me dire que je n'y arriverai peut-être jamais à voir à travers ses yeux. Ses yeux si jolis, tout embués de larmes.
Je ne réponds pas tout de suite, mes lèvres sont comme collées l'une à l'autre, et mes yeux, de honte, partent observés l'horizon plutôt que sa figure que j'ai moi même défiguré de larmes. Et c'est peut-être bien la première fois que je m'en veux pour cette histoire. Je suis juste un chercheur d'or. Un type un peu paumé qui cherche à combler des vides.
« Thoum, t'es mon unique trésor, tu sais. »
Mais même s'il le sait, ça ne change rien. Je fais tout de travers. Dans ma quête effrénée, je deviens pilleur. Je viole les femmes et j'égorge les enfants. Ma Chose. Cette petite Chose. Ce serait le coupable parfait pour tout ce qui nous arrive, toutes ces larmes. Mais il n'y peut rien ce petit homme en devenir. Ce Truc.
« J'ai pas encore trouvé toutes les réponses. Mais promis, je cherche, je cherche encore. »
Je sais que chercher ne lui suffit plus. Il faut que je trouve et que je lui montre les résultats de ma découverte. Mais tout est sombre, brumeux. Tout se met en travers de ma réussite. Des milliers de facteurs s'opposent à ce que les choses se mettent en place dans ma tête dans un sens logique.

Je lui entrouvre mes bras, son meilleur refuge. Ici, il est à l'abris de tout, tout du moins c'est ce dont j'essaie de me convaincre. Là, au creux de mes bras, il ne manque plus de rien. Son corps complète le mien dans cette embrassade, et nous ne sommes plus qu'une montagne infranchissable, plus personne ne peut l'atteindre, et donc m'atteindre moi. Ici, aucun risque d'exploser. Plutôt de fusionner. Enfin. C'est peut-être l'unique solution de notre situation. La fusion. Nous donner corps et âme l'un à l'autre. Mais il va encore pleurer si je lui donne cette solution, il n'y croira pas. Et puis c'est physiquement impossible.
Je plonge ma main dans ses cheveux dont l'odeur m'envoute encore un peu plus. Ils sont si doux. Et je ne peux que espérer que les caresses soulageront un peu ses maux. Ce n'est pas la panacée mais c'est la preuve simple et belle de mon amour pour lui. Juste dans une caresse. Ca et la chaleur de mes bras. C'est tout ce que j'ai à lui offrir, au final. C'est peut-être trop simple, justement, que ça en devient insuffisant. J'en ai oublié l'instabilité. J'oublie souvent ce genre de chose. L'instabilité, c'est la dernière chose qui me fait peur, mais c'est un fléau comme un autre, en vrai.
Je l'écoute. J'essaie d'y discerner des réponses, parce que ce petit Trésor doit bien cacher des merveilles que lui même ne perçoit pas. Et dans son discours je comprends enfin des choses que mon esprit aventurier se refuse généralement à considérer. Parce que ça fait trop mal de penser aux conséquences. Que l'action c'est plus facile quand on remet au lendemain le jugement moral. Quand la conscience se déconnecte. Se met en veille.
« Mais moi, j'ai jamais voulu que tu sois elle. »
Seulement, c'est sûrement dur à comprendre.
« Un jour j'ai arrêté de pleurer, j'ai oublié comment on fait. Je suis pas fort, j'ai juste oublié. Mais toi tu es ma source, ma seule source. »