"t'as vu papa?" silence "t'as vu papa?" je répète. mur d'atonie, maman est morte en même temps que lia. ma main termine son chemin sur la table. un peu trop fort. surprise. elle cligne des yeux, m'ignore, boit son verre d'eau en silence. "ok merci" pieds qui claquent, coup de vent, maman ne sait pas où est papa. marteau et clous abandonnés, journée terminée.
j'vois l'ombre d'un ballon d'foot qui traîne. sourire d'gamin, l'envie qui démange. retour en enfance. deux trois dribbles vers le jardin. ali footballeur, carrière ratée. achevée trop vite, condamnée par la fin de ce monde. plus de lia, plus de supportrice. les clous et les marteaux c'est mieux. "fiou fiouuu" je siffle entre mes dents. l'herbe humide qui rafraîchit mes petons dans les godasses trouées. "merde" course rapide, caillou en travers, la balle rebondit. trop d'vitesse j'me laisse avoir, force de gravité, équilibre de traviole. la balle termine son chemin et quand j'me r'prends je souffle. pire que d'perdre l'ballon c'est le perdre sous les pieds de zadig. ça ira, ça ira pas ?

tu marches sur la route, inlassablement, tes pieds ne s'arrêtent plus, comme s'ils suivaient quelque chose, comme si tout ça avait un but.
tu es suivi, c'est le soleil derrière toi qui tape sur ta peau, traverse tes vêtements pour venir un peu plus près de ton corps. la légère brise vient caresser les feuillages, quelque chose d'étrange flotte dans les airs, tu le sens. un air de quoi ? un air de rien, un air de déjà vu. tu fouilles dans ton sac à dos trop abîmé, trop déchiré, pour y trouver une cigarette que tu portes à tes lèvres. doucement mais sûrement, elle te consume. en même temps que tu l'allumes, tête baissée contre le vent, tu sens un objet toucher tes pieds.
ali, ali. ça ira, ali.

paraît qu'avant l'foot c'était un truc cool. vieux ballon de l'âge de grand-papa. j'trottine, je cours, j'm'en fous. finie la journée. finies les réparations. j'aurais pas du laisser les clous en plan. lia. lia elle aurait rangé après moi. soupir. ciel qui brille. soleil d'été. bientôt la nuit. samedi la nuit. équilibre moyen. un pas en avant, j'me rattrape comme un épouvantail. chemise ouverte, virevolte au vent. et zadig.
zadig qui lève la tête. "tu joues?" deux trois dribbles, comme ça. parce qu'apparemment avant, l'foot c'était un truc cool. et qu'avant, nous aussi avec zadig on était un truc cool. j'avance. vitesse au sol, pieds qui s'emballent, j'te défie zadig. on joue à nouveau ? pas longtemps. juste un peu. juste trois coups. trois coups et l'soleil qui nous sourie.

la balle ronde te ramène à tes souvenirs.
tu vous revois, comme des gamins courir sans s'épuiser, le corps tout entier contre le vent, sourire sur les lèvres, rires aux éclats. c'était avant, et avant c'était bien. y'avait les promesses d'amitié et les soirées passées sous les étoiles, sur un toit, bière à la main, cigarette dans l'autre. c'était avant, et avant c'était bien, ali.
tu joues? qu'il te dit. tu jettes ta clope à peine allumée. tu te prends au jeu. hop, un pas en avant, la balle entre tes pieds. hop, une passe par derrière. juste au dessus, le soleil tape, il fait trop chaud, ça t'épuise, t'es pas un grand sportif zadig. tu t'assois sur le banc, là, à côté, et tu le regardes, tu l'étudies, si seulement c'était comme avant.

je la vois filer avec lui. adroit, zadig. le vieil ami. propriétaire provisoire de cette vieille balle de papi. j'avance un peu, taquine ses pieds. sourires d'enfants, corps d'adultes. corps rouillé qui n'suit plus trop. avant c'était plus simple. même jouer au foot, c'était plus simple.
zadig s'efface. laisse sa place. pointe du pied, j'm'approprie du jeu. deux, trois. stop. roule jusqu'à lui. assis sur ce même banc. silence brisé par ce souffle haletant. souffle de nos deux corps déjà usés par les ans. "j'peux te taxer une clope?" clope bière là-haut, clope bière dans les champs, clope bière dans le vent. j'm'en souviens. c'était mieux qu'les coups. t'es pas d'accord zadig ?

une nouvelle fois tu fouilles dans ton grand sac à dos, plonge ta main dans ce vieux tissu tout abîmé, et tu lui tends une cigarette. comme avant, copain clopant clope sur le bout des lèvres. comment on fait pour revenir en arrière, on peut pas hein ? la fumée de la cigarette, elle revient jamais dans la cigarette, c'est pareil pour la vie hein, on peut pas retourner dans le passé ?
tu voudrais rentrer dans sa tête à ali et lui effacer toutes ces mauvaises images, tous ces trucs qu'il a vécu et qui font mal partout, qui font couler les larmes et tout ça.
- j'voudrais tellement qu'on aie le choix de contrôler nos vies.

"moi aussi" demain matin je me réveille et je suis pompier. pompier ouais, parce que la ville existera toujours, parce que le monde existera toujours, parce qu'on aura b'soin de gars comme ça, d'gars qui aident, d'gars qui sauvent. de gars qui se rendent utiles. moi je plante des clous. ici et là. écharde dans l'doigt, ongle bousillé, l'odeur de rouille au bout des lèvres. écœurant. mais ça va. on s'y fait. on se fait à tout, pas vrai ?
"mais y'a dieu, tout ça, on choisit pas grand chose faut croire" j'y crois à dieu. j'aime bien, j'me dis oh, j'parle à quelqu'un. même quand je pense, j'suis jamais seul. j'aime pas trop ça, la solitude. un peu, mais c'est tout. dieu là-haut, il se fout de ma gueule. il a pris lia, il nous a cassés, zadig et moi, mais au moin il est là.

et toi, si t'avais pu contrôler ta vie Zadig ?
t'aurais sûrement été un marin avec tes rêves dans ton grand sac et tes bras ouverts sur l'horizon, caressant l'océan mer de tes doigts frêles, et les vagues viendraient se jeter sur ta peau. t'aurais bien aimé être quelqu'un d'autre, ailleurs. même que parfois tu t'imagines dans une autre vie, ça sert à ça les rêves.
Ali il te parle de Dieu et tu fais la moue. pour toi c'est des conneries tout ça, ça peut pas exister.
- t'y crois vraiment toi? tu crois pas que y'aurait pas toutes ces merdes s'il existait vraiment?

lia disait qu'elle serait devenue doc. elle aurait sauvé des gens, tout ça. c'est bien. moi j'ai toujours aimé travailler avec mon père. silence, calme, concentration. moue quand ça va pas. râle souriant pour dire qu'on est satisfaits. zéro chichis. tout l'monde pense que j'ai détruit lia. mais ils savent pas eux, qu'c'est elle qui m'a fait rêver. tu pourrais être policier, elle m'disait. les grands garçons à la ville ils deviennent flics. ouais, lia, mais ici on n'est pas à la ville. et puis de toute façon, de toute façon t'es plus là. "j'me sens moins seul parfois" dieu il m'écoute. "enfin ça me dérange pas d'être seul" je rattrape "mais, enfin, on devient moins fou, non ? en croyant à quelque chose" après tout on l'a cherchée, la punition. et v'la que tu défies la vie, et v'là qu'elle te rattrape. mais avec dieu j'me dis que même si j'ai joué au con, je peux toujours lui parler à lia. elle est quelque part.

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