DANS LA POUSSIERE SUR MES BOTTES, Y A DE LA CHALEUR DE FEU DE CAMP
Colombe, elle tient pas en place. Colombe, on l’a voit jamais assise plus de deux secondes. Colombe, elle reste jamais longtemps au même endroit. Colombe, elle marche pas, elle court pas, elle sautille. Elle essaye peut-être de s’envoler, qui sait ? Colombe, elle veut peut-être devenir un oiseau. Colombe, elle a des bottes toutes trouées, à force de marcher. Colombe, elle passe tellement de temps dans la forêt qu’elle oublie parfois ce que c’est, que de l’herbe. Colombe, c’est une voyageuse, en fait. Colombe, elle tient ça de ses parents, débarqués un jour ici avec un bébé, partis deux jours après en laissant derrière eux leur enfant. Mais Colombe, elle leur en veut pas vraiment, elle les comprend. Elle aussi elle voudrait partir, faire le tour d’une planète dont elle ne connait que le nom. Mais Colombe, elle veut pas vraiment partir, dans le fond, elle est quand même bien, ici. Y a Manou qui s’est occupé d’elle depuis toujours, et maintenant c’est à son tour de s’occuper de Manou. Et y a tout le monde, qu’elle aime bien quand même, et qui l’aime peut-être aussi, même si elle semble préférer la compagnie des arbres à celle des humains. Mais en fait, si elle s’éloigne, si elle s’exile, c’est parce qu’elle sait pas quoi leur dire, elle sait pas comment faire … pour avoir des amis.

COMME DES ENFANTS EN CAVALE, QUI REFUSENT DE DORMIR
Colombe, elle sait pas ce que ça veut dire, « grandir ». Colombe, elle joue encore à cache-cache avec les enfants du village. Elle hurle encore « SOLEIL ! » et se retourne vivement. Colombe, elle aime bien le sourire des enfants. Mais elle aime bien aussi les sourires des plus grands. En fait, Colombe, elle se sent heureuse quand les gens lui sourient. Colombe, elle fait partie de ces ados qui continuent de s’intéresser au monde des plus petits, peut-être par peur de celui des grands. Colombe, faut encore la surveiller comme une enfant, parce qu’elle sait pas ce qui peut être dangereux. Colombe, elle boude encore, comme une enfant, mais des fois elle boude pas vraiment. Colombe, elle rigole tout le temps. Colombe, elle joue tout le temps, comme un enfant. Mais peut-être que bientôt, elle devra songer à grandir un peu, peut-être que ça commence déjà un peu. Colombe, elle commence à se rendre compte que c’est pas normal, d’être comme elle. Elle commence à remarquer que les garçons et les filles de son âge se mettent en couple, elle commence à remarquer qu’elle aussi elle aimerait bien avoir un garçon qui la regarde avec amour. Mais Colombe, elle voit pas ce qu’elle doit changer, ce qu’elle doit faire, pour suivre ce chemin que les adultes appellent « grandir ».

ALORS JE SOUFFLE SUR LES BRAISES, POUR QUE LE NOIR SE CONSUME
Colombe, la nuit, elle broie du noir, elle fait des cauchemars. Colombe, elle dort pas beaucoup, ça lui fait trop peur. Elle sait pas pourquoi, c’est comme si quand venait le soir, elle perdait son sourire, elle perdait son beau rire. C’est comme si les étoiles lui volaient sa joie de vivre. Manou elle dit que c’est parce que c’est le soir que ses parents sont partis sans elle. Colombe elle réponds toujours que c’était il y a trop longtemps, mais parait que Manou est une sage et qu’elle sait tout, alors peut-être qu’elle a quand même raison. Mais Colombe, elle s’en souvient plus, elle, de ce soir où ses parents l’ont laissé seule. Elle se souvient même plus de leur tête. Elle arrive même pas à les appeler « papa » et « maman », car ils n’existent pas vraiment, en fait. Colombe, elle se lève en pleine nuit, et elle va s’assoir à côté du grand feu de camp, qui s’éteint jamais vraiment. Alors, devant les flammes qui dansent, elle chantonne. Pour rester éveillée, pour vaincre le sommeil. Mais bien souvent, le matin, quand quelqu’un approche, il la trouve étendue là, à côté des flammes, parfois si proche qu’on ose à peine la secouer, de peur qu’en se levant trop vite elle se brule. Mais elle a pas peur du feu, le feu fait de la lumière, et ce qui lui fait peur c’est le NOIR.