EMBARQUE

Hier Félix s'est pris un coup de foudre. De la vraie, avec de l'électricité en son intérieur. Un petit morceau d'orage. Ça l'a pas tué, ça l'a colorié. Ses vertèbres sont entourées de ronds jaune-mécontent, ses grains de beauté sont noyés sous des rayons bleutés, Félix, c'est devenu comme une petite boite de crayon de couleurs. / Ernest est mort. On l'a enterré dans le jardin. / Enoch a inventé une chanson sublime pour parler de nous. Une chanson qui dit et qui chante les matches de foot, les courses de voitures, la rivière noyée dans la forêt, les soldats pour jouer avec les enfants, les enfants qui jouent aux soldats, les hivers durs et silencieux, les printemps comme une renaissance, les étés magnifiques, les automnes à pluie. On a un peu pleuré-joie. / Théo et Tom se sont battus. / Amoure et Maxence sont tombés amoureux, j'ai regardé ça de loin, ça a duré des années et des années, ou alors, juste quelques secondes, de toute façon ici le temps s'envole alors quand on tombe amoureux c'est encore pire. Ça ressemblait à un beau tableau d'avant et j'ai cru comprendre pourquoi on a écrit autant de poèmes sur l'amour. / Le vieux Basile a souri. Accalmie. / Le grand cerisier est tombé, raide-mort. Je pensais que quand on mourait, on montait au ciel, pas qu'on dégringolait bruyamment. / Hier nous étions les rois du monde. Et demain aussi.